mardi 14 février 2012

Frédéric Beigbeder, 99 Francs, page 262.

La vie se passe comme ça : vous naissez, vous mourez, et entre les deux, vous avez mal au ventre. Vivre, c'est avoir mal au ventre, tout le temps : à 15 ans, mal au ventre parce que vous êtes amoureuse ; à 25 ans, parce que vous êtes angoissée par l'avenir ; à 35 ans, parce que vous buvez ; à 45 ans parce que vous travaillez trop ; à 55 ans, parce que vous n'êtes plus amoureuse ; à 75 ans parce que vous avez un cancer généralisé. Dans les intervalles, vous n'aurez fait qu'obéir à vos parents, puis aux professeurs, puis aux patrons, puis aux maris, puis aux médecins. Parfois vous vous doutiez qu'ils se foutaient de votre gueule mais il est déjà trop tard, et un jour, l'un d'entre eux vous annonce que vous allez mourir et alors, sous la pluie, on vous range dans un coffre en bois, sous la terre du cimetière de Bagneux. Vous croyez être épargné ? Tant mieux pour vous. Quand vous lirez ceci, je serai morte. Vous, vous vivrez, et moi, pas. N'est-ce pas bouleversant ? Vous vous promènerez, vous boirez, vous mangerez, vous baiserez, vous aurez le choix et moi, je ne ferai rien de tout cela, je serai ailleurs, dans un endroit que je ne connais pas plus que vous, mais que je connaîtrai au moment où vous lirez ces lignes. La mort nous sépare. Ce n'est pas triste, c'est juste que nous sommes, moi la morte et vous qui lisez cette lettre, de chaque côté d'un mur infranchissable et que pourtant nous pouvons parler. Vivre et entendre un cadavre qui vous parle : c'est pratique, Internet.